Émile Prisse d’Avennes et le papyrus
Né le 27 janvier 1807 à Avesnes-sur-Helpe, Achille Constant Théodore Émile Prisse d’Avennes était un ingénieur, architecte, orientaliste et égyptologue français.
Ingénieur de formation, il s’installe en Égypte en 1827, où il occupe différents postes de professeur de topographie et d’architecture dans les écoles militaires du pays jusqu’en 1836. De 1836 à 1844, il voyage le long du Nil, documentant les monuments et vestiges qu’il rencontre et mène quelques fouilles archéologiques. De retour en France en 1844, il s’attèle à la publication de la documentation qu’il a amassée, avant de repartir en Égypte chargé d’une mission officielle de 1858 à 1860. Là, il peut explorer de nouveau le pays et amasser une documentation considérable constituée de centaines de photographies, dessins et estampages qu’il s’évertue à publier de son retour en France en 1860 jusqu’à son décès survenu à Paris le 10 janvier 1879.
C’est lors de son premier séjour égyptien que Émile Prisse d’Avennes fait l’achat du papyrus qui porte depuis son nom. Les circonstances exactes de la découverte de ce précieux document sont incertaines, les récits qu’en fit le découvreur étant eux-mêmes variables. Ainsi, dans une lettre adressée à Jacques-Joseph Champollion-Figeac et datée du 20 mars 1843, indique-t-il avoir acheté le papyrus au Caire et suppose que le papyrus fut découvert à Louxor, dans la nécropole de Dra Abou el-Naga, tandis que dans une lettre à François Joseph Chabas en date du 25 février 1858, il précise l’avoir acheté à un ouvrier qu’il avait employé lors de ses propres fouilles dans ce secteur de la nécropole et qu’il soupçonnait de vol.
À son retour en France en 1844, Émile Prisse d’Avennes fait don du papyrus à la Bibliothèque royale, renommée depuis Bibliothèque nationale de France, où le papyrus fut découpé, monté sur carton et placé dans des cadres de chêne et verre minéral.
Le papyrus Prisse
Aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France, le papyrus Prisse est considéré comme l’un des plus anciens manuscrits littéraires du monde. Produit sous la 12e dynastie (1991-1781 av. è. c.), il mesure plus de 7 mètres de long sur 15 cm de haut.
Écrit en hiératique - l’écriture cursive de l’Égypte - à l’encre noire et à l’encre rouge, en lignes orientées de la droite vers la gauche comme il était de coutume pour ce genre de document, le papyrus présente aujourd’hui deux textes, séparé par un troisième, qui fut effacé dans l’Antiquité. Le premier est un enseignement placé dans la bouche d’un vizir au profit de son fils, Gemnikaï, sous les règnes des rois Houni et Snéfrou de l’Ancien Empire (entre 2648 et 2589 av. è. c.). Le second est également un enseignement attribué cette fois-ci à un vizir du roi Djedkarê-Isési, autre roi de l’Ancien Empire, à la 5e dynastie (2494-2435 av. è. c.), dénommé Ptah-hotep.
Malgré la mise en scène de personnages historiques d’un passé ancien et prestigieux, le papyrus et les textes datent du Moyen Empire (2063-1640 av. è. c.) et plus précisément de la 12e dynastie (1991-1781 av. è. c.). C’est l’époque d’épanouissement de la littérature égyptienne, qui encode les valeurs et la vision du monde des membres de l’élite, proches du pouvoir.
Le manuscrit se présente sous la forme de feuilles de largeur variable, assemblées entre elles par un scribe qui a probablement associé les morceaux de différents rouleaux qu’il avait sous la main, comme nous le montrent les joints, souvent irréguliers. Une feuille vierge protectrice a été ajoutée à la fin du rouleau. En revanche, le texte s’ouvre sur une feuille de moins de 4 cm de large, laissant penser que le début du rouleau est en réalité manquant et que nous n’avons donc que la fin du premier texte du recueil (i.e. L’Enseignement pour Gemnikaï).
Un recueil de sagesse
Le genre égyptien de l’”enseignement” encode sous la forme de maximes des normes de vie, éthiques et sociales, auxquelles devait se conformer tout individu.
Désignés en égyptien sous le terme de sébayt, ces textes prennent généralement la forme d’un discours dans lequel un personnage s’adresse à un autre, souvent son fils, pour lui édicter des règles de conduite afin de l’aider à mener une vie conforme aux normes sociales et à la maât.
Composés au plus près du sommet de l’État, ces textes sont autant des manuels du bon courtisan que l’énoncé d’un bon ordre social et politique.
Une œuvre littéraire
La langue utilisée pour rédiger le papyrus est le Moyen égyptien en usage au Moyen Empire et considérée dès l’Antiquité comme la langue classique de l’égyptien ancien.
La composition du texte est élaborée et le scribe montre par l’emploi de nombreuses figures de style toute l’étendue de son talent rhétorique. Se rencontre notamment dans l’enseignement de Ptahhotep, une figure de style en vogue en Égypte ancienne, le polyptote, qui consiste à répéter le même mot sous des formes grammaticales différentes. Ici, le scribe développe ce jeu autour du verbe sedjem, (écouter), utilisé 21 fois entre les vers 534 et 563.
Cette figure de style se rencontre dans d’autres compositions contemporaines du papyrus Prisse comme la Complainte de Khâkhéperrê-séneb où une polyptote tourne autour du verbe djed « parler » : « Celui qui a parlé n’a pas parlé pour que puisse parler celui qui parlera. Qu’un autre trouve ce dont il parlera. On n’a pas discouru pour un discours à venir : ils ont agi jadis ! » (papyrus British Museum EA 5645, ligne 5) ou dans l’Enseignement de Mérikarê avec une répétition du mot our « grand » : « Un grand (roi) est grand lorsque ses grands (= les élites) sont grands » (papyrus Musée de l'Ermitage 1116 A, ligne 44). Ici la figure permet de souligner des thèmes centraux du texte.
Ce goût des Égyptiens pour la littérature et les figures de style se retrouve dans l’expression “Belles Paroles” (médout nefrout) qui désigne en égyptien les Belles-Lettres et la littérature.
La fabrication d'un rouleau de papyrus
Aucune source antique connue ne décrit la fabrication du papyrus. Aussi, nos connaissances du processus de fabrication des papyrus reposent sur l’observation empirique et les essais de l’archéologie expérimentale.
Pour produire du papyrus, les tiges de Cyperus papyrus sont découpées en fines bandes. Les lamelles ainsi obtenues sont aplaties pour faire éclater les cellules de la plante afin d’en libérer le contenu servant de colle. Ces lamelles sont ensuite disposées en deux couches se croisant perpendiculairement de façon à former une feuille. Les feuilles ainsi constituées sont pressées et mise à sécher avant d’être assemblées en rouleau.
À l’époque de la rédaction du papyrus Prisse, le Moyen Empire (2063-1640 av. è. c.), les feuilles mesuraient environ 40 cm de large. Un rouleau neuf mesurait alors 30 cm de haut et était coupé en deux pour des usages non officiels, tel qu’ici la littérature.
Les principes de l'écriture hiératique
Le papyrus Prisse, comme tous les textes littéraires et administratifs, est composé en hiératique. L’écriture hiératique est une forme simplifiée des hiéroglyphes. Les signes sont cursifs et parfois liés entre eux (ce que nous appelons une ligature). Le hiératique est un peu aux hiéroglyphes ce que notre écriture manuscrite est aux caractères d’imprimerie. C’était l’écriture courante de l’Égypte ancienne, celle de tous les documents de la pratique (littérature, administration, savoirs, lettres, rituels), que les scribes apprenaient bien avant les hiéroglyphes, réservés au domaine monumental.
Le hiératique est tracé à l’encre, à l’aide d’un jonc dont le bout a été broyé (probablement mâché) et qui fait ainsi office de pinceau. Il respecte les principes de l’écriture hiéroglyphique ainsi, le nom du roi se retrouve ici aussi signalé par un cartouche.
formule honorifique « qu’il soit vivant pour toujours et à jamais » | nom du roi « Isési » dans son cartouche | « Roi de Haute et de Basse Égypte » |
L’écriture du papyrus Prisse est soignée, les référents iconiques (les objets qu’ils représentent) des signes hiératiques sont facilement reconnaissables et les ligatures sont peu nombreuses.
La copie est fort soignée et les quelques fautes sont corrigées par le scribe, probablement en cours d’écriture : il efface alors le signe fautif avant de réinscrire la version correcte : ces “repentirs” se laissent deviner aux halos noirs qu’ils laissent sur le papyrus. Les traces du rythme de rechargement en encre - quand le scribe s’interrompt pour frotter son pinceau sur le pain d’encre - montre qu’il se concentre davantage sur la calligraphie que sur le sens : il s’interrompt au milieu des mots, indépendamment du sens et du découpage lexical. Le tracé des signes d’écriture (le ductus) est en effet très soigné et les graphies riches : le scribe utilise davantage de signes par exemple pour représenter la vieillesse et la dignité qu’il n’en existe en hiéroglyphes. Aussi rencontrons-nous et pour .
De la colonne à la ligne
L’aspect le plus frappant de cet artefact inscrit est la disposition du texte, en pavés de lignes : c’est à l’époque du papyrus, à la 12e dynastie, une innovation. Le scribe qui nous a également laissé le rouleau du Conte du Naufragé, où il utilise à la fois l’ancienne mise en page en colonnes et la nouvelle en lignes, n’est guère habitué à cette disposition du texte, comme le montre la grande irrégularité des pavés de textes, certains dépassant largement le champ de vision du lecteur.
Différents indices prouvent que le scribe copiait son texte d’un modèle en colonne : alors que les signes hiéroglyphes sont normalement disposés de façon à former des carrés réguliers (les quadrats), souvent le scribe met simplement les signes les uns après les autres. Aussi rencontrons-nous et , alors que nous attendrions et .
De même, le scribe décompose parfois en deux quadrats ce qui ne forme en réalité qu’un seul signe : l’influence de la disposition en colonne se décèle en de nombreux endroits. Aussi rencontrons-nous au lieu de .
Encre rouge et encre noire
Les Égyptiens utilisaient des encres de différentes couleurs, notamment noires et rouges, pour la rédaction des textes sur papyrus.
La couleur noire était, comme aujourd’hui, la couleur standard pour écrire, et le rouge avait pour fonction de mettre en évidence et de distinguer ce qui était écrit du corps du texte, soit pour le rendre plus lisible, soit pour l’isoler. Elle était notamment utilisée pour indiquer les quantités, les totaux ou encore les dates dans les correspondances et les documents comptables, médicaux ou magiques.
Dans le domaine littéraire, comme ici, les passages à l’encre rouge, appelés rubriques, servaient au découpage du texte et ainsi de repères pour le lecteur en mettant en évidence le début du texte, les débuts des différentes sections et la fin des textes.
Dans la culture égyptienne, la couleur rouge pouvait être porteuse d’une connotation négative. Aussi l’encre rouge pouvait-elle être utilisée pour désigner des divinités dangereuses ou des ennemis.
Rechargements en encre
L’observation des manuscrits permet de montrer différents types de copie, selon l’attention que le scribe porte au contenu du texte ou à la calligraphie. Si la copie correspond à une lecture active ou à une composition, le scribe est plus engagé dans ce qu’il copie et a tendance à finir un mot ou une phrase avant de s’arrêter pour recharger son calame en encre. Au contraire, s’il est attentif aux signes et à la calligraphie, il perd de vue le sens de ce qu’il copie et s’interrompt à n’importe quel endroit du mot pour recharger son calame : la densité de l’encre et la calligraphie est alors régulière. C’est le cas du scribe du papyrus Prisse.
Le texte effacé
Les études menées sur la partie effacée, notamment grâce à la photographie infrarouge, montrent qu’il s’agit également d’un texte littéraire, que l’on suppose de même nature et de la même main que les deux œuvres qui l’encadrent. L’examen des traces subsistantes suggère la présence, au début du texte, d’un cartouche royal, évoquant une situation d’énonciation, en présence d’un grand souverain du passé, semblable à celle des deux autres enseignements du rouleau. Les traces de la fin du texte effacé sont compatibles avec un colophon du type “c’est ainsi qu’il doit aller de son début à sa fin”.
Traduction
« La Majesté du roi de Haute et Basse-Égypte [...] » |
« [...] C’est ainsi qu’il doit aller de son début à sa fin » |
Crédits
Cette présentation du papyrus Prisse a été réalisée dans le cadre d’une collaboration entre le projet Écritures (Sorbonne Université et IFAO) et la Bibliothèque nationale de France.
Direction du projet :
- Chloé Ragazzoli
Direction technique :
- Serge Rosmorduc
- Nicolas Souchon
Translittération et traduction du texte égyptien d'après :
- Bernard Mathieu
Encodage hiéroglyphique :
- Emil Joubert
Rédaction des notices :
- Chloé Ragazzoli
- Nicolas Souchon
Développement informatique :
- Serge Rosmorduc
- Nicolas Souchon
- Christian Gaubert
Traduction anglaise :
- Penelope White
Traduction arabe :
- Mostafa Zayed
Comité de révision de la traduction arabe :
- Omaïma El-Shal
- Ola El-Aguizy
- Naglaa Hamdi Boutros
Lecture du texte :
- Thibaut Corrion
Partenaires :
Hébergement web :
Crédits pour la vidéo et les photographies :
- Portrait d’Émile Prisse d’Avennes par Tell, conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble, Mj.2618, disponible sur Pagella : https://numotheque.grenoblealpesmetropole.fr/notice/PAG_0001134/emile-prisse-d-avennes$
- Peinture représentant la première cour du temple de Karnak par Émile Prisse d’Avennes, conservée à la Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, NAF 20435 (2), disponible sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b531039735/f9
- Photographie de la statue de scribe de Nikarê, conservée au Metropolitan Museum of Art, 48.67, photographie DP240451.jpg, disponible sur le site du Metropolitan Museum of Art : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/543900
- Documentaire sur la production contemporaine de papyrus par SciDevNet, disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=sO72jfUCYSg
- Extrait de J.-Fr. Champollion, Grammaire égyptienne, ou Principes généraux de l'écriture sacrée égyptienne appliquée à la représentation de la langue parlée, Paris, 1836, en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61025921/f76, p. 35
- Les photographies du papyrus sont la propriété de la Bibliothèque nationale de France.
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